Les Historiettes de Tallemant des Réaux: Mémoires Pour Servir à L'Histoire du XVIIe Siècle (Complete)
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Publisher Description
Le fils d'un apothicaire de Toulouse, nommé Puget, vint à Paris qu'il n'avoit pas de souliers; il fit quelques petites affaires pour madame la duchesse de Beaufort, et le Roi ayant donné à sa maîtresse un office de trésorier de l'épargne de nouvelle création, elle le vendit trente mille écus à Puget; mais comme il n'avoit pas assez de bien pour le payer, un nommé Plassin, son beau-frère (ils avoient tous deux épousé les filles d'une madame Prévost), en prit un quart, et M. de Fresnes-Forget, secrétaire d'Etat, prit l'autre quart pour leur faire plaisir. Plassin mit dans le marché qu'il auroit la première commission. Ils firent une grande fortune en peu de temps; mais il y eut bientôt du désordre en leurs affaires. Cela commença par une infidélité que fit Puget à M. de Fresnes, son bienfaiteur; car de Fresnes l'ayant prié de lui acheter l'hôtel d'O, et d'en donner jusqu'à vingt-cinq mille écus, Puget en donna vingt-sept, et se le fit adjuger; ainsi il se mit un secrétaire d'Etat sur les bras. D'ailleurs il devint amoureux de la femme de son beau-frère Prévost, et pour le mettre en la place de Plassin qui, comme j'ai dit, avoit la première commission, il fit toutes les choses dont il se put aviser, et fut cause du grand procès qui les ruina, car ils se firent l'un à l'autre du pis qu'ils purent. D'autre côté la chambre de justice découvrit bien des iniquités. Plassin, en voyant ses papiers, en trouva un qui leur pouvoit être très-préjudiciable; il le déchire en deux et le jette dans la cheminée; c'étoit en été; un commis mal intentionné le ramassa et le colla sur un ais. Ce commis, chassé pour quelque friponnerie, se sert de ce papier pour les rançonner. On lui donna bien de l'argent pour le ravoir; mais il en avoit gardé copie collationnée, et c'étoit une vache à lait: tous les jours il lui falloit de l'argent. Une demoiselle d'Orléans, qui avoit concubiné avec Plassin, lui conseilla de s'en défaire: elle se chargea de l'exécution, et le fit assassiner. Le frère du mort la fait emprisonner: elle soutient la question ordinaire et extraordinaire; pour Plassin, il se sauva en Flandre, et fut pendu en effigie.
Puget, qu'on appeloit M. de Pommeuse, car il avoit acheté cette terre qui est auprès de Coulommiers, en Brie, eut encore un malheur outre la recherche, c'est qu'il laissa tenir sa caisse par ses enfants, qui la gouvernèrent fort mal; il est vrai qu'ils firent plaisir à bien des gens de la cour, car ils étoient libéraux. Une fois le cadet, appelé Chéva, se trouva en un lieu où étoit M. de Montmorency, qui lui parut fort triste; on lui demanda ce qu'il avoit: «C'est que je suis du ballet du Roi, répondit-il, et je n'ai pas le premier sou pour en faire la dépense.» Chéva le tira à part et lui dit qu'il lui avanceroit un an de ses ordonnances qu'il lui envoya dès le lendemain. M. de Montmorency ne fut pas ingrat, car sachant Chéva dans la décadence, il lui envoya cent pistoles, avec excuse de n'en faire pas davantage, mais qu'il n'avoit pas d'argent, et il lui offrit celle de ses terres qu'il voudroit pour s'y retirer et y vivre sans qu'il lui en coûtât rien.
Puget fut contraint de se retirer à Pommeuse. Là, il ne s'éloignoit guère à cause de ses créanciers. Une fois pourtant il fut pris, à cause qu'il n'y a qu'un seul pont-levis à cette maison, et que les archers ayant eu avis qu'il étoit dans le parc, et qu'il étoit aisé d'entrer dans une basse-cour dont la porte se tient rarement fermée, n'eurent qu'à lui couper une avenue. Il contenta promptement celui qui le faisoit arrêter, et revint chez lui; mais il se garda bien mieux qu'il n'avoit fait.