Pâques d'Islande Pâques d'Islande

Pâques d'Islande

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Roc’h-Vélen (la Roche-Jaune) est un hameau de quelques maisons basses éparses sur les deux flancs d’un ravin, à l’entrée de la rivière de Tréguier. Des petites fenêtres à bordure de granit, fleuries en été de glycines, de tournesols et d’hortensias, on a vue sur l’estuaire, vaste lac de mer apaisée, que des chapelets d’îles protègent contre les tumultes du large. Le flot, à l’heure du reflux, découvre le long des berges de hautes assises de roches brunes d’où pendent les ruisselantes chevelures de goémons aux tons d’or, qui ont vraisemblablement fait donner son nom au village. La population, peu nombreuse, se compose surtout de marins en retraite, vieux quartiers-maîtres, anciens caboteurs, venus s’installer là pour y jouir de leurs derniers soleils, près de cette mer intérieure, assagie comme ils le sont eux-mêmes, mais qui les berce encore de son murmure et les pénètre de son parfum.

Curieuses physionomies, d’un relief peu commun, celles de ces coureurs d’océans, retirés des aventures, qui, sur les seuils de Roc’h-Vélen, passent les jours à échanger des commentaires, en suivant du regard les barques qui montent ou descendent, dans une immobilité de sages et de contemplateurs. Je fus, il y a quelque deux ans, l’hôte de l’un d’eux. Il s’appelait Jean-René Kerello, mais il n’était guère connu dans la région que sous le nom de Cloarec Kersuliet,—Kersuliet désignant son lieu d’origine, et cloarec, qui veut dire «clerc», étant un titre que l’on décerne volontiers en Bretagne, non sans une sorte de respect superstitieux, aux personnes réputées pour avoir quelque teinture de lettres.—Le père Kerello avait fait des études: il avait suivi les cours du collège, à Tréguier, et se souvenaît, selon son expression, «d’avoir été de la même bordée que le fils du capitaine Renan».

—Oui, me disait sa femme, la vieille Gritten, avec un accent de regret qui, dans sa bouche, ne laissait pas de surprendre,—songez, monsieur, il n’eût tenu qu’à lui de devenir prêtre.

Il ne l’avait pas voulu. Une irrésistible vocation l’entraînait ailleurs. Les voix des sirènes de la mer le relançaient jusque dans sa cellule de «chambriste», et, une nuit, il avait escaladé les murs, emportant pour tout bagage son livre de messe et des croûtes de pain nouées dans un mouchoir. Trois jours plus tard, il était embarqué à bord d’une espèce de négrier; il faisait à coups de garcette son premier apprentissage, attrapait la fièvre jaune à Montévidéo, et rentrait en France, dégoûté des navigations exotiques mais plus que jamais féru de la mer. C’était le temps où les goélettes bretonnes commençaient à abandonner Terre-Neuve pour l’Islande. Il souscrivit un engagement, fut de l’âge héroïque de la pêche dans les fiords islandais et, après avoir pratiqué cette rude vie pendant près de trente années, trouva qu’il avait suffisamment payé le droit au repos.

Il y avait en lui un singulier mélange de culture et de barbarie. Par certains côtés, il était resté aussi primitif que les âmes les plus ingénues de sa race; et il se plaisait, d’autre part, à des réminiscences d’un pédantisme naïf, à des citations de latin d’église qui témoignaient que chez le loup de mer un peu de l’ex-séminariste avait survécu. Il avait, avec cela, des remarques fines qu’il formulait en un breton imagé, une mémoire où les lieux, les événements, les êtres s’évoquaient d’eux-mêmes, au moindre appel, avec une rare fidélité.

Des récits qu’il me fit, durant la semaine de septembre que j’habitai sous son toit, il en est un surtout qui m’est demeuré présent. Fin août, commencement de septembre, les Islandais sont de retour. Un matin, en poussant mes volets, j’aperçus toute une flottille mouillée dans les eaux de l’île Loaven. Ils étaient là une dizaine de navires à l’ancre, autour du sanctuaire rustique de sainte Eliboubane, leurs sveltes mâtures découpant sur le ciel gris perle l’enchevêtrement compliqué de leurs agrès.

—Ils sont entrés en rivière cette nuit, me dit le père Kerello, et ils attendent que la marée soit plus forte, pour remonter. Je viens de les compter: ils y sont tous.

L’après-dînée, il me conduisit, par des sentiers de chèvres ou de douaniers, au sommet d’une lande abrupte d’où le regard plongeait sur les goélettes trégorroises, immobiles et comme mal réveillées encore de leur long engourdissement dans les mers du pôle. Nous nous assîmes dans l’herbe roussie; Jean-René Kerello alluma sa pipe minuscule, et, de sa belle voix lente et profonde, me conta cet épisode de sa vie d’Islandais, dont je souhaiterais que ma traduction n’eût point trop altéré l’accent.

GENRE
Fictie en literatuur
UITGEGEVEN
2019
28 november
TAAL
FR
Frans
LENGTE
194
Pagina's
UITGEVER
Library of Alexandria
GROOTTE
563,4
kB

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