Passager

Cette histoire avait débuté parce que je n'avais pas su dire non. Et jamais je n'aurais pensé qu’un simple covoiturage m’emmène aussi loin.

Je revenais tout juste d'un long périple, un tour du monde, et je ne désirais qu'une chose, ne plus bouger. Plus que les milliers de kilomètres parcourus, ce qui dorénavant me clouait le plus, c’était d'avoir pu le vérifier de mes propres yeux: la Terre est bien ronde. C’est bel et bien un monde fini, une petite planète, sans issue. Alors à quoi bon courir le plus loin possible, puisque partout ailleurs ce ne sera toujorus qu'un vaste et incommensurable ici. 

Je reconnais que ça m'avait pris du temps, mais j’avais petit à petit réussi à m'extraire de cette course en avant que sont nos vies modernes. À ralentir. À marcher. Pour éprouver la distance et la durée, deux notions chez nous disparues. Ce long et lent voyage m’avait convaincu que ce qui me faisait avancer n’étaient pas les tonnes de CO2 crâmées, mais la richesse des rencontres. Je désirais même consacrer mon temps à construire un lieu de vie hors des impératifs de la vie moderne, loin des injonctions à faire ci ou acheter ça, un espace loin les idées reçues, loin des tuyaux de la société du spectacle, un monde qui se contrefiche du Progrès. Un îlot d'autarcie en somme.  

Confiant, je réussissais, par exemple, à dire «non» quand je n'avais pas fondamentalement envie de ce qu'on me proposait, ou quand ça m'obligeait à courir. Non, j'étais bien là. Immobile, le monde venait à moi. Regarder, rencontrer, échanger, ressentir, vibrer et retranscrire toutes ces sensations, c'était là la formule que je consacrais à ce que certains nomment savamment «vivre». 

Ça paraît simple, mais dire «non» est tout un art. Et ce coup-ci j'avais merdé ; en ne disant «ni oui ni non», je m'étais mis dedans tout seul. Ne pas dire «non», c'est dire oui potentiellement. Surtout quand même un non ne sera jamais pris avec un sérieux catégorique. J'aurais pu dire «non merci», j'aurais pu dire «ne comptez pas sur moi», mais je n'avais pas encore atteint ce stade de sagesse je crois. 

Je n'avais pas dit «non», et je me retrouvais à devoir parcourir plus de 2000 bornes aller/retour pour travailler avec d'autres qui œuvrent à inventer une nouvelle modernité. Un progrès comme un autre.