Terres de soleil et de brouillard Terres de soleil et de brouillard

Terres de soleil et de brouillard

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(L’eau qu’on touche dans un fleuve est la dernière de celle qui s’écoule et la première de celle qui arrive. Ainsi le temps présent.)

Il n’est pas la même heure en Italie qu’en France. Quand de tous les campaniles sonne, à l’instant du coucher du soleil, l’Ave Maria du soir, le jour qui s’achève atteint sa vingt-quatrième heure et un autre jour commence, dont la première heure se lève avec la nuit! Il semble bien, en effet, qu’il est ici à la fois et plus tôt et plus tard. Mais sûrement l’heure est autre.

Massimo d’Azeglio, dans ses Mémoires, raconte qu’au temps de sa jeunesse les Romains avaient pour habitude d’aller dans le monde toujours trois heures après l’Ave Maria, sans s’occuper du changement apporté par les saisons à l’heure réelle: au moment actuel, pour bien des choses, c’est encore l’heure de l’Ave Maria qui fait la règle, et ce n’est point du tout l’heure moderne.

Cette terre est vieille, mais de la vieillesse immortelle des dieux qu’elle abrite; le sol est encore fumant, rien n’a rompu la tradition du passé: il existe, présent et militant, même pour le menu du peuple; cette communion continuelle avec le passé imprime à la vie moderne un caractère tout particulier et comme une autre signification. Aussi, il est impossible d’apprécier et de juger sainement l’Italie d’aujourd’hui si on ne connaît l’Italie d’autrefois. Il ne faut pas oublier combien longue et ancienne est ici la tradition humaine: le vieux chroniqueur Villani, qui, au XIVᵉ siècle, écrivait l’histoire d’une façon si délicieuse et si personnelle, a soin de nous apprendre que Fiesole fut le premier lieu d’Europe où s’établirent les petits-fils de Japhet; et il abonde en détails sur le roi Attalante, qui, à la sortie de la tour de Babel, s’en vint, sur les conseils de son astrologue Apollino, fonder une ville sur cette colline, au-dessus de laquelle brillent les constellations les plus propices aux mortels, de sorte que les habitants de cet heureux site naissent avec plus d’allégresse et de force naturelle qu’en aucun lieu du monde. Cette sorte de filiation directe avec Enée fait une race plus claire, si l’on peut s’exprimer ainsi, n’ayant jamais connu les obscurités des temps primitifs des races du Nord.

La terre toscane est donc de justice la première qu’il faut étudier en Italie. L’homme ici paraît se rapprocher beaucoup plus du type réel et naturel de l’humanité: voluptueux et plutôt cruel; la civilisation semble ne l’avoir pas encore déformé, et on est frappé partout de la joie de vivre qui se lit dans les yeux; le goût de la vie est encore incorrompu, et c’est peut-être pour l’individu le don par excellence.

Il n’est pas question ici de chercher ce qui fait les États puissants et prospères; j’ai idée que la nature, cette grande dévorante, ne s’en soucie pas; elle veut seulement que ses enfants vivent et accomplissent avec joie les actes qu’elle ordonne. Dans les pays du Nord, l’amour devient de plus en plus une chose triste; à mesure que nous atteignons une espèce de lucidité maladive, le fait de s’unir à une autre créature, celui de transmettre la vie, cesse d’être l’impulsion suprême de l’homme, qui lui donne dans la joie le plein sentiment de lui-même et de sa force.

Il ne paraît pas ici que la vie ait très sensiblement changé depuis cinq cents ans; l’armature qui soutient l’édifice social est encore intacte; et tout le courant de l’existence en reçoit l’empreinte.

Physiquement, chez l’homme du moins, la race est plutôt contemporaine de celle des XVIᵉ et XVIIᵉ siècles. Si, en France, on compare les portraits de cette époque aux hommes qui nous entourent, on constatera aussitôt l’immense modification advenue dans l’apparence extérieure: la race, lourde d’aspect, aux visages ronds, aux corps disposés à l’embonpoint, était modifiée dès le siècle dernier, et ce siècle-ci a vu l’avènement d’un type tout autre. Ici, au contraire, on retrouve continuellement dans les rues les corps et les visages que reproduisent les anciennes fresques et les anciennes statues: la tête ronde, les gros yeux, les barbes luisantes, les ovales courts, les structures lourdes. Le long effort du passé pour maintenir en faisceaux intacts les classes et les castes semble avoir réussi à conserver l’aspect extérieur particulier à chacune d’elles.

GENRE
Fiction & Literature
RELEASED
2022
16 June
LANGUAGE
FR
French
LENGTH
186
Pages
PUBLISHER
Library of Alexandria
SIZE
504.6
KB

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