Le système Victoria

Roman clef pour comprendre notre époque.

J'ai acheté ce livre sur la foi d'une critique dithyrambique dans Libé. Il était censé être un parfait tableau de la société actuelle et de ses contradictions. Il s'agit en fait de l'autoportrait d'un queutard tout a fait antipathique et sans intérêt, veule et immoral qui ne s'intéresse qu'à lui même. Les pages du début offertes en extrait sont assez accrocheuses mais le roman s'écroule immédiatement après dans l'impression de la lecture d'une série rose de la collection Harlequin...
Architecte quarantenaire "de gauche" et père de deux enfants (mais amoureux fidèle de leur mère) je m'étais projeté dans la description du protagoniste mais il est finalement si misérable que j'en suis désolé. Il y a de plus des erreurs dans la description du métier et notamment la définition de ce qu'est un "Maitre d'Oeuvre" (c'est le métier qu'exerce le personnage et non pas celui de l'entreprise de travaux comme écrit dans le livre). Il est par ailleurs censé construire la "tour la plus haute de France" qui ferait cinquante étages - pour mémoire la tour Montparnasse, construite dans les années 70 en fait déjà 56 ! Les tours en projet à la Défense font plus de 400 m mais la sienne en fait 250! Par contre les descriptions de ses érections sont tres précises ...

Cet auteur, réputé ambitieux, vise depuis des années un prix littéraire et ne s'en cache d'ailleurs pas. Mais est-ce là une ambition sérieuse ? Et qu'il cite, dans la page du Monde des livres du vendredi 2 septembre qui est consacrée au "Système Victoria" (et qui, à la suite des médias qui ont déjà traité ce sujet, emboîte le pas du dithyrambe), le joli pamphlet "Mes prix littéraires" de Thomas Bernhard comme le livre qui "le fait rire", ne relève-t-il pas d'une forme parmi les plus accomplies de cynisme ? — Pour en venir à ce livre-ci, disons qu'il se lit facilement, plus facilement que le plus foisonnant "Cendrillon" qui l'a précédé, qu'il navigue avec habileté entre les eaux de genres aussi différents que le polar, le roman de gare coquin, l'introspection, la critique prolitico-sociale, le roman d'amour, et j'en passe sans doute… Mais la littérature est-elle affaire de "genres" ? Sans compter que les fils de la couture qui tente de les relier sont si blancs et si visibles qu'on s'étonne que le dos du livre ne soit pas lui-même cousu, mais simplement collé. Tout y paraît fabriqué, calculé, échafaudé, on est vraiment bien loin d'un Joyce, pour ne citer qu'un des écrivains favoris d'Eric Reinhardt, c'est-à-dire de cette fantaisie qui emporte tout sur son passage, y compris son auteur, condition à mon avis nécessaire et suffisante à ce que le lecteur soit à son tour transporté. J'ai au contraire plutôt eu le sentiment de lire une rédaction scolaire, répondant à la contrainte d'un énoncé qui aurait pu être : "En cinq cent pages minimum, faites la preuve de votre intelligence en montrant que vous maîtrisez tous les styles et toutes les formes de récits, que ce soit en les utilisant ou en les évitant ostensiblement, et qu'en cela vous vous situez à la pointe de la modernité." Aucun subjonctif imparfait, donc, en revanche — et j'ai oublié combien ! — une armée de "Mais néanmoins", charmant pléonasme qui signe assez, me semble-t-il, l'imposture, bien de l'époque en effet. Alors : Goncourt ? Renaudot ? Femina ? Que sais-je ? Rappelons qu'un prix ne se refuse pas, c'est trop tard, tout l'art étant de n'en mériter aucun.