JUNGLE NOIRE-ILE DE FER

« Je cours… Je n’en peux plus… Suis trempé ! Plus vite… J’les sens… Là… Y sont derrière moi ! Plus vite ! Y faut que j’accélère ! La ruelle, là au coin ! Vite ! Hoh, hoh, hoh, hoh ! Poumons qui s’étirent et se rétrécissent dans tous les sens. Ça brûle à l’intérieur ! Ça décolle, ça m’arrache ! Encore…  Y pleut maintenant ? Non, c’est de la sueur ! Oui. Sur le visage c’est bon. T’arrête pas, j’te dis ! De la sueur sur mes lèvres gercées… Ça embrase, ça arase… J’ai mal ! Cours ! Réfléchis pas ! Cours ! Ne pense qu’à ça ! Hoh, hoh, hoh, hoh !... Des fragments de peau de lèvres desséchées me quittent, s’envolent et tombent doucement comme feuilles mortes derrière moi. Course folle ! La sueur comme du sang dans la bouche… Je ne sais plus. Il faut encore courir ! Derrière cette maison… C’est un jardin ? Une barrière. Sauter ! Tomber ! Aïe,  des graviers pointus ! Continuer ! Soif ! Mais c’est du sel sur ma langue ! Mes lèvres me font si mal ! Sueur évidemment ! J’ai le feu dans toute ma poitrine ! Il faut que je trouve une cache pour la nuit. Ils doivent avoir des chiens ! Mon odeur colle à la terre, comme un tissu posé sur la boue ! Ils vont me retrouver… Je ne veux pas ! Je pue !... Hoh, hoh, hoh, hoh !


 La nuit est arrivée depuis longtemps ! Ils ont bien vu que je n’étais plus dans mon cachot !

 D’abord cru que j’étais resté dans la cour des promenades ! Sont allés voir ! Inspection idiote. Rien dans cette cour ! Le vide entre des hauts murs.… Le donjon qui surveille. Rien ! Là, ils se sont un peu inquiétés, mais pas encore complètement ! »

- Il était de lavage aujourd’hui le 82-04 ?

- Il n’est pas encore retourné dans sa cellule ? Qu’est-ce qu’il nous fait encore celui-là ?

Aux ateliers-laboratoires pour être sûr… Aux toilettes quand même ?… Ils ont fouillé partout et puis… Ils se sont résolus… Furieux. 

-  Y s’est tiré ! Envoie la sirène !

Le hululement s’est répercuté contre le donjon, entre les murs d’enceintes, dans le petit bois, sur la longue plaine jusqu’à cogner les premières maisons basses de la Cité. 

Huuuuuuuu… Huuuuuuu… Huuuuuu…

Ce mugissement annonciateur d'envies de chasse, de sang caillé sur le bitume ! Huuuuuuuu… 

Les passants lèvent la tête ! Avides de ce qu’ils ne savent pas ! Comme des chiens de rabatteurs … 

On verrait presque leurs narines se dilater pour fouiner dans l’air…

« Au loin, très loin, j’ai l’impression que j’entends une sirène… Il faut que je me repose… Là, un hangar à outils ?…  

Hoh, hoh ! Un appentis ? Je ne sais pas ! Ça sent le bois. Tout est noir… J’ai froid d’un seul coup ! C’est quoi par terre ? C’est mou ! ? J’sais pas, j’te dis !… J’m’allonge, tant pis !

Hoh, hoh, hoh, hoh ! Je dois reprendre mon souffle ! Calme-toi bonhomme ! Tu en as vu bien d’autres ! Là… Reprends-toi ! Respire… Expire doucement… Hoooooo… J’ai froid… Le battement de mes tempes tape encore, mais je sens qu’il décroît… J’ai moins mal… Tu es devenu très faible mentalement. Rappelle-toi, tes missions…»


Et il s’endort d’un seul coup, comme sur une table d’opération.