L'heritage De Miron a L'hexagone (Gaston Miron‪)‬

La fondation et les debuts litteraires de l'Hexagone ont fait l'objet de travaux qui permettent aujourd'hui d'en comprendre le dynamisme (Tellier 2003; Chevalier et Watteyne 2003-2004; Giguere et coll. 2004; Watteyne et coll. 2010). La publication de textes varies, ecrits par une generation de poetes prenant leurs distances face au regime duplessiste, choisissant de s'affirmer a travers une parole incarnee, et revendiquant leur appartenance a l'Amerique, allait de soi pour ces jeunes gens sans pretention qui se sont pretes a l'echange de textes et a la critique mutuelle. Leur predilection pour les loisirs et la poesie les a amenes a fabriquer des livres d'une belle facture. En 1953, la parution des poemes de Gaston Miron et d'Olivier Marchand dans une meme plaquette, Deux sangs, a marque le coup d'envoi de cette aventure editoriale. Quand, un an plus tard, la collection "Les matinaux" a ete fondee, il n'y avait pas de maison au Quebec dediee a la jeune poesie. Plus qu'un simple ouvrage, le recueil correspondait a l'action d'une jeunesse et representait un appel au partage et a la communaute, comme l'a montre Christine Tellier en 2003. La poesie de "l'homme d'ici," pour reprendre l'expression d'Ernest Gagnon (1952), etait valorisee. Portes par l'ideal communautaire et ouverts a differents styles, pourvu que le texte soit "ramasse," comme en font foi les notes de lecture retrouvees dans les archives de l'Hexagone, la jeune generation des poetes des annees 1950, qu'il s'agisse de Gaston Miron, de Jean-Guy Pilon, ou de Michel van Schendel, a pousse les ecrivains, isoles dans un milieu sclerose, a prendre position sur des enjeux politiques et sociaux. Le role de l'ecrivain, son engagement public preoccupaient ces jeunes gens qui tenaient a se prononcer sur des questions comme la place de la langue francaise en Amerique. De tels sujets etaient debattus lors d'evenements litteraires et dans des foires du livre qui ont contribue a faire connaitre la poesie canadienne-francaise au Quebec et dans la francophonie. C'est ainsi que les rencontres des ecrivains, dont la premiere s'est tenue a Montmorency en 1957, ont ete, avant de devenir une institution litteraire d'ordre international, un lieu d'echanges privilegie entre poetes et essayistes quebecois. Ces rencontres ont accru la visibilite de l'Hexagone comme celle des autres petits editeurs de poesie de l'epoque. Les livres des auteurs de la maison etaient bien recus, d'autant que leur presentation materielle temoignait d'un souci esthetique que peu d'editeurs avaient alors, mis a part les editions Erta de Roland Giguere, bien sur. En se fiant a ses intuitions, la premiere equipe de direction de l'Hexagone provoquait une transformation des pratiques editoriales. Les rencontres animees par Jean-Guy Pilon et Gaston Miron de 1957 a 1961, le sejour a Paris de ce dernier, de 1959 a 1961, pour etudier les techniques de l'edition a l'ecole Estienne, et une premiere demande de subvention de $5000 au Conseil des arts de Montreal en 1958, temoignent bien du desir de faire de leur pratique une veritable profession. Dans les revues et les journaux, des critiques comme Gilles Marcotte ou Pierre de Grandpre ont tot fait de souligner la qualite du travail de ces jeunes gens et d'encourager leur action. L'Hexagone a acquis une reputation qui se situe sur bien d'autres plans. Elle a pave la voie a la Revolution tranquille, d'une part, et au destin particulier de Gaston Miron, d'autre part, inextricablement lies a la maison dans l'imaginaire collectif. Il faut dire que le poete et cofondateur de l'Hexagone nourrissait l'espoir d'une transformation des mentalites, en meme temps que d'une societe ouverte a la jeune poesie et aux idees nouvelles.